jeudi 23 février 2017

De la nécessité de sortir Georges Ribemont-Dessaignes du néant littéraire

Georges Ribemont-Dessaignes (1884-1974) était-il le dramaturge dada comme beaucoup de biographes le présentent ou était-il, comme Michel Corvin l'affirmait, un auteur à part entière? Le débat ne semble plus d'actualité.
En revanche, on peut se demander pourquoi cet auteur n'est jamais monté actuellement?
Pas un auteur majeur? Que dire alors des productions qui mettent en avant bon nombre d'auteurs que l'histoire littéraire ne retiendra pas?
Pas d'actualité? Pourtant Ribemont-Dessaignes connaissait le langage ou du moins avait l'intuition de ce que cela pouvait être - un moyen de communication à base de signes, signaux appris,émis, modifiés - et son langage poétique n'est pas sans rapport avec celui de Ionesco. Et puis "Le Bourreau du Pérou" n'est pas très éloigné du "Caligula" de Camus qui retrouve vie actuellement.
Les références à l'écriture sont nombreuses, surtout dans Le Bourreau du Pérou où il est même question de l'acte d'écrire. Il y a l'instrument qui va servir à l'acte d'écriture (on est au début du XX ème siécle) et la machine à écrire est collée au corps d'Amour, le secrétaire du bourreau.

Elle est pire qu'un phare aveuglant.
Elle vous perce les prunelles et découpe sans pudeur les petits secrets
 de l'horizon dont on n'est pas responsable. 
Acte III, sc 1

La machine ne va pas être seulement être un outil à langage, elle va remplacer l'homme, car on n'a plus besoin de l'image du pouvoir. Les noms vont suffire et la machine à mots va donner au verbe un pouvoir quasi cabalistique en lui permettant de faire de la réalité à partir de rien. Beau sujet de réflexion à l'époque du virtuel et de la dématérialisation.
Les pièces de cet auteur sont des paraboles sur le mystère de la connaissance du monde et les différents personnages sont souvent en train d'importuner Dieu de questions qui restent sans réponse. 
Ses personnages, comme Simon Agnel de Tête d'Or de Claudel explorent le monde avec le feu et l'épée pour savoir si le grand monde contient quelque chose qui le satisfasse. Mais chez Ribemeont-Dessaignes, on cloue la femme au sol et non pas sur la croix.
Le dramaturge a une conception de l'univers basé sur une opposition de deux principes.

Il y a moi
Il y a une grande ligne qui passe
par le milieu de moi et me traverse le nez
la pomme d'Adam, l'ombilic
et d'autres organes essentiels.
Elle pénètre en bas de la Terre, et en haut dans le ciel.
Chaque point du monde a par le tracé de ses coordonnées
sa place marquée sur cette tige et son exacte valeur démontrée.
Et il devient vérité, c'est-à-dire abstraction
et moi du seul fait que cette ligne thermomètre traverse les organes que j'ai indiqués
j'ai la conscience de toutes les valeurs.
Le Serin muet

A partir de cette conception de l'univers il est facile d'imaginer ce qu'est l'amour, un jeu opposant le mêle à la femelle, un jeu comme le bilboquet, qui consiste à prendre et à être pris et dont il est difficile de dire qui est le vainqueur, du bâton ou de la boule.
Tout ne serait qu'illusion et l'amour aussi. Il ne resterait plus que le désir et une petite besogne à accomplir. Mais alors pourquoi le sexe conserve-t-il une place si importante?
Il existe ainsi une sorte de défi lancé aux hommes par les femmes concernant cette soi-disante puissance qu'ils veulent exercer sur elles.

Quel souffle chaud empestait ma figure?
Les hommes.
Les voici rouges et haletants
Vous voulez me voir nue?
Voulez-vous voir mes seins nus et mon ventre nu?
Et toucher mon sexe?
Et mes reins?
Vous savez, je suis belle, et je saurai vous faire l'amour
Ah éclairs des yeux et salive dans la bouche.
Vos mains
Voulez-vous me déshabiller?
Tenez, tirez sur cette ceinture
Vraiment,je veux vous voir virils
Faudra-t-il vous aider, vieux étalons?
Empereur de Chine, acte II, sc. VIII

Au sexe se greffe la violence car dans les pièces de Ribemeont-Dessaignes un chant de mort souffle fort et la cruauté des personnages nous rappellent celle de Michel de Ghelderode. Les assassinats, les exécutions y sont légion et souvent la folie meurtrière est sans entrave comme dans le théâtre élisabéthain.
Ainsi les têtes roulent, deviennent des ballons qu'on s'envoie, servent de munitions aux canons, un peu comme chez Wadji Mouawad.
Donc Messieurs et Mesdames les metteurs en scène, emparez-vous du théâtre de Ribemont-Dessaignes et que la violence et le sexe soient vus avec un certain regard et un certain recul, celui d'un auteur méconnu.





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