vendredi 11 décembre 2009

Théâtre autobiographique, un genre impossible?


Le théâtre autobiographique est-il un genre impossible?

Cette question peut paraître saugrenue mais peu de chercheurs se sont penchés sur la question. En effet, la plupart des études traitent de l'autobiographie dans le théâtre plutôt que du théâtre autobiographique. Pourtant si l'on se réfère au pacte autobiographique décrit par Philippe Lejeune, spécialiste de l'autobiographie, il suffirait que le nom de l'auteur soit identique à celui du narrateur, du personnage pour qu'il s'agisse de théâtre autobiographique. La spécificité du théâtre rend difficile ce pacte, car si dans un roman on peut penser que l'auteur s'adresse directement au lecteur, au théâtre, les intermédiaires se multiplient, notamment en la personne de l'acteur, mais aussi à travers le personnage. L'auteur, le narrateur, le personnage et l'acteur lors de la représentation doivent être une seule et même personne pour correspondre au genre. Alors genre impossible? Pas si sûr.

Pour commencer rappelons la distinction entre autobiographie, qui est le genre littéraire et autobiographique qui est le matériau. L'autobiographie est la biographie d'une personne faite par elle-même. Récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre personne en mettant l'accent sur sa vie individuelle, sur l'histoire de sa personnalité pour Philippe Lejeune.
Cet auteur, spécialiste de l'autobiographie parle de pacte autobiographique qu'il définit comme l'affirmation dans le texte de l'identité de l'auteur, c'est en fait un contrat passé entre l'auteur et le lecteur qui induit le désir de sincérité et par là-même l'intention de dire la vérité.

La notion de vérité ne semble pourtant pas une condition primordiale d'ailleurs car comme le faisait remarquer Mauriac, " seule la fiction ne ment pas, elle entrouvre sur la vie d'un homme une porte dérobée, par où il se glisse, en dehors de tout contrôle, son âme inconnue". Car comme l'a si bien montré Michel Leiris, l'autobiographe choisit ses informations verbalisables.
De plus, selon J. J. Rousseau, vérité et théâtre ne semblent pas faire bon ménage, quand, dans sa lettre à D'Alembert, il se demande en quoi consiste le talent de comédien sinon "en l'art de se contrefaire, de revêtir un autre caractère que le sien, de paraître différent de ce qu'on est". L'autobiographie suppose d'abord une identité assumée au niveau de l'énonciation et tout à fait secondairement une ressemblance au niveau de l'énoncé (vérité des faits rapportés, sincérité).
L'autobiographe est non seulement le sujet de l'énonciation mais est également l'énoncé ou du moins affirme qu'il est l'énoncé. Car pour de multiples raisons ( oubli volontaire, simple oubli, censure naturelle, pudeur) le récit peut présenter des inexactitudes.

On voit donc se dessiner une problématique spécifique au théâtre à savoir comment un dramaturge peut montrer que son Moi révolu est différent de son Je actuel? Car il lui faut non seulement raconter en actes ce qui lui est advenu en un autre temps, mais surtout comment, d'autre qu'il était, il est devenu lui-même. L'auteur étant le seul à avoir une biographie. Si l'on accepte le fait que le théâtre est un art du présent il est difficile d'éviter la fiction qui résulte du décalage temporel qui existe entre le moment où la chose réelle s'est passée et le moment présent de la représentation.


Bob Wilson joue sur ce décalage dans son spectacle " I was sitting in my Patio, this Guy appeared, I thought I was hallucinating, où, seul en scène, il dit un texte qui est à la première personne. Ce texte relate ses propres expériences anciennes ou récentes et intègre à la fois des rêves, des souvenirs. Ce discours est proche de celui du patient sur le divan du psychanalyste.
Ce texte est ensuite repris dans les mêmes conditions par une femme, la danseuse Lucinda Childs.

Un autre américain a eu une démarche semblable, Spalding Grey qui, dans Points of interests, improvise sur des thèmes différents chaque soir, oscillant entre la confession, la conférence et la performance. Il y décrit ses pratiques érotiques ou ce qui lui est arrivé le jour même. Il est le seul détenteur de sa mémoire et ses actes ne sont répétables que par lui seul. Il semble bien s'agir ici d'autobiographie mais est-ce du théâtre ou cela relève-t-il de la simple performance puisque la notion de répétition de l'œuvre n'est pas présente ici.

Bien avant eux le romain Catulle (-87av.JC- 54) racontait dans ses Poésies ses amours contrariées pour une femme mariée, infidèle à son mari et à lui, Lesbie. Il y faisait aussi le récit de sa vie à Rome et en province.

Malheureux Catulle, mets un terme à ton ineptie ; ce que tu vois perdu, tiens-le pour perdu. D'éblouissants soleils brillèrent jadis pour toi, lorsque tu accourais aux fréquents rendez-vous d'une femme chère à nos coeurs comme aucune ne le sera jamais ; heureux moments ! signalés par tant d'ébats joyeux : ce que tu voulais, ton amante le voulait aussi. Oh ! oui, d'éblouissants soleils brillèrent pour toi ! mais maintenant, elle ne veut plus ; toi-même, faible cœur, cesse de vouloir ; ne poursuis pas une amante qui fuit ; ne fais pas le malheur de ta vie. Adieu, femme ! déjà Catulle endurcit son âme ; il n'ira pas te chercher ni te prier quand tu le repousses. Toi aussi, tu pleureras, lorsque personne ne te priera plus ! Scélérate, sois maudite ! Quel sort t'est réservé ? Qui, maintenant, te recherchera ? Qui te trouvera jolie ? Qui aimeras-tu maintenant ? De quel homme va-t-on dire que tu es la conquête ? Pour qui tes baisers ? De qui vas-tu mordre les lèvres ?... Mais toi, Catulle, tiens bon et endurcis ton âme !
Au XIIIème siècle, Adam de la Halle, en écrivant "Le Jeu de la Feuillée" avait mis en scène un épisode de sa vie, son départ ou plutôt l'échec de son départ de la ville d'Arras. Pour Jean Dufournet, " Adam de la Halle invente le théâtre de la lucidité. [...] C'est une expérience de théâtre total, greffé sur la fête populaire, les personnages et l'auteur lui-même jouent des scènes de leur vie quotidienne, cherchant à exorciser les fantasmes d'une société qui s'interroge sur elle-même."Peut-on dire pour autant comme Jean Dufournet qu'"Adam se fait en faisant sa pièce"? S'il s'agit bien d'un acte autobiographique dans le sens où son passé conjugal est évoqué, revécu, et confirmé par des témoins réels s'agit-il pour autant d'autobiographie puisqu'aucune des conditions de celle-ci n'est présente (absence de la notion d'auteur, d'emploi littéraire autoréférentiel de la première personne)? la valeur de vérité n'étant pas suffisante. Le fait que l'œuvre prétende concorder avec d'autres documents qui décrivent les mêmes événements, ici l'actualité politique, historique, ecclésiastique locale ne confirme pas que nous soyons en présence d'une pièce autobiographique au sens donné par P. Lejeune.
Pour la lecture de l'oeuvre d'Adam, se référer au lien ci-dessous:
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k116685k.image.r=adam+de+la+halle.f372.langFR


L'exemple de Diderot à travers la pièce Le Fils naturel est plus complexe puisqu'il s'agit d'une fiction autobiographique, c'est à dire que l'autobiographe, Dorval, est un personnage créé par Diderot. Ce qui prête à confusion c'est que Diderot se met en scène lui-même en assistant, caché, à une des représentations du Fils naturel. D'autant plus qu'il affirme avoir lu, étudié et commenté cette pièce dans Dorval et moi ou Trois entretiens sur le fils naturel. Dorval n'est en aucune sorte l'auteur du Fils naturel pas plus que Passemart n'est l'auteur de Par-dessus bord, mais Michel Vinaver. Pourtant, ce dernier, dans un texte intitulé, Auto-interrogatoire, nous dit qu'après avoir longtemps jouer à cache-cache avec lui-même, il a fini par s'accepter, et par là, accepter de se raconter, ce qui n'est pas tout à fait la même chose que raconter sa vie. "Se raconter pour sortir de l'ornière, se raconter, mais sur le mode bouffon. Je suis Passemart. Je suis Benoît, et Alex, Jack".

Car c'est par rapport au nom propre que l'on doit situer les problèmes de l'autobiographie car ce nom, marque de l'auteur, demande ainsi qu'on lui attribue en dernier ressort la responsabilité de ce qu'il écrit.
Comment un auteur dramaturge s'il a choisi de se raconter, tente de se (re)jouer, se répéter ou de se (re)mettre en scène au milieu de ses souvenirs. De plus le théâtre, lorsqu'il est représenté, ce qui est le but, fait intervenir un paramètre supplémentaire, un énonciateur de plus au moins, en la personne de l'acteur qui prolonge ainsi la chaîne des énonciateurs. C'est en terme de dispositif énonciatif que doit s'envisager d'abord la spécificité de la communication théâtrale selon Catherine Kerbrat-Orecchioni. Au théâtre, "dire" c'est faire. Rien n'existe que ce qui est dit, exprimé, proféré par le personnage à tel point que le monologue vient au secours de l'auteur pour exprimer les pensées de ses personnages.

Que penser alors de l'attitude de Tadeusz Kantor qui bouscule notre appréhension de la notion de personnage quand il est présent sur scène en tant que metteur en scène. Quand on feuillette un programme d'un de ses spectacles, Je ne reviendrai jamais, par exemple, on se rend compte que le dit spectacle est bien de lui mais qu'en plus son nom figure dans la distribution de manière singulière puisqu'en face du personnage dénommé Moi-même on peut lire Tadeusz Kantor. L'auteur s'échappe, revient et il n'est pas toujours aisé de distinguer l'auteur, le metteur en scène et le personnage. Parce qu'il s'agit de ses souvenirs, qu'il est présent sur scène, qu'il se tient à l'écart de l'action tel le metteur en scène qu'il est en répétition, il nous amène à réfléchir sur sa présence, son être. On peut dire qu'il laisse une trace autobiographique autre qu'événementielle.

Faut-il parler de dramaturgie à la première personne en lieu et place de théâtre autobiographique? comme le suggérait Jean Pierre Sarrazac ou se référer à l'axiome de Michel Corvin qui pose le fait qu'il y a autobiographie quand l'énonciateur devient énoncé.
C’est l’énonciation qui s’avère déterminante pour tenter de statuer sur l’existence d’un « théâtre autobiographique ». L’exemple du Roman d’un acteur, où Philippe Caubère incarne son moi passé en l’interprétant sur scène, est-il la preuve de l'existence du genre théâtre autobiographique? Certainement pas si l'on se réfère à Philippe Lejeune. ? La danse du diable, histoire comique et fantastique, est une pièce improvisée, écrite, mise en scène et jouée par Philippe Caubère où Ferdinand,Faure, son double, tente d'échapper à l'amour dévorant de sa mère, Claudine Gautier, pour partir faire du théâtre.

Le Roman d'un acteur est souvent cité comme une œuvre autobiographique monumentale, écrite, mise en scène et jouée par Philippe Caubère avec la collaboration de Jean-Pierre Tailhade, Clémence Massart, Véronique Coquet et Pascal Caubère. Composée de onze spectacles de 3 heures chacun, elle raconte la vie du jeune Ferdinand Faure - alter ego de Caubère - depuis l'enfance (La Danse du diable) jusqu'à la décision, après avoir quitté le théâtre du Soleil et le théâtre subventionné « classique », d'écrire et de monter lui-même ses spectacles (Le Bout de la nuit).

Geneviève Jolly a effectué une approche théorique des modes d’appropriation théâtrale de l’autobiographie, à partir de L’Atelier de Jean-Claude Grumberg et de Théâtres d’Olivier Py. Pour elle, L’Atelier peut servir d’exemple de théâtre autobiographique passant par une mise en fiction de faits vécus par l’auteur dans son enfance. Néanmoins, cette pièce qui évoque l’après-guerre de 1945-1952, y introduit une perspective qui est celle d’un adulte, concernant la deuxième guerre mondiale et l’extermination des Juifs.

Pour cette chercheuse, Théâtres peut être qualifié de forme théâtrale autobiographique, dans la mesure où elle se centre sur un personnage, Moi-Même qui, convoquant ses parents et un bourreau, peut revenir sur certains événements de son passé comme de son présent qu’il chercherait ainsi à mieux comprendre.
Mais selon moi on est dans le matériau autobiographique plus que dans l'autobiographie. Cette démarche est à rapprocher de celle de Sylvain Ledda pour qui l’œuvre dramatique de Musset semble résoudre l’aporie qui éloigne le genre dramatique de l’autobiographie et montre que le théâtre peut devenir le lieu d’une écriture de soi. Des éléments du « vécu » de l’auteur surgissent en effet de manière explicite dans les dialogues, les caractères, les actions de ce théâtre spéculaire. Le « je » du personnage-héros se confond alors avec celui du dramaturge. Mais de quelle manière et selon quel dessein ? Comment peut-on déceler la part autobiographique dans une œuvre dont le lyrisme désenchanté trouble les pistes ? Comment, dans On ne badine pas avec l’amour par exemple, Musset utilise-t-il le matériau de son expérience intime pour écrire l’échange amoureux entre Camille et Perdican ?

On peut, en effet s’interroger, sur les effets rétrospectifs d’un théâtre où le moi du dramaturge se met en scène. Dès la parution de ses pièces, Musset a été confondu avec ses personnages, comme si le caractère autobiographique de ce théâtre se construisait aussi « à rebours ». C’est pourquoi on peut se demander de quelle manière la confusion auteur/personnages, en troublant les pistes, réinvente la vie de l’auteur et influe sur l’approche biographique. Comment s’élabore le mythe d’un poète désenchanté à travers cette lecture spéculaire, opérée du vivant de l’auteur ? Le cas particulier du théâtre de Musset trahit en effet un mouvement circulaire qui enferme l’artiste dans une œuvre, dont il est à la fois la source et le reflet diffracté.
Ce qui vaut pour Musset vaut pour bon nombre d'auteurs et il est préférable de parler de forme théâtrale autobiographique ou de chercher la place de l'autobiographie dans le théâtre en lieu et place de théâtre autobiographique. Mais cette forme est peut être à inventer, mélange de Caubère, kantor et Bob Wilson.